Finalement, le lendemain matin avait fini par arriver. Estrello était déjà parti, comme toujours, telle une ombre il avait quitté son lit pour éviter d'être vu. Le nez enfoncé dans le coussin, la krityenne se surprit à rechercher son odeur en inspirant profondément avant de se lever et d'aller s'habiller... elle accomplit tout de même son rituel habituel, à savoir aller courir jusqu'au lac, nager un peu et revenir en courant avant de prendre une bonne douche.

Sous l'eau, elle réfléchissait au programme de la journée, normalement, connaissant Wrath Peebles et ses capacités, le problème serait résolu ce jour même. À cette pensée, elle pouvait sentir que Polaris était contrarié à l'idée qu'elle ne garde pas l'enfant, mais comme Estrello le pensait si bien, il n'avait pas à interférer ainsi dans sa vie, ils n'avaient pas pactisé et elle pouvait très bien décider de ne plus l'avoir auprès d'elle en permanence. Certes, ce serait un peu contre ses convictions puisqu'elle ne pouvait normalement pas s'opposer à un esprit, mais bon là, s'il venait vraiment à mettre la pagaille dans sa vie, elle ne se gênerait pas.

Se dirigeant dans la cuisine, elle prit un thé avec une tranche de pain et un peu de confiture. Prenant une profonde inspiration tout en se perdant dans ses pensées, elle finit par se lever, terminer de se préparer et se diriger vers la porte pour rejoindre l'hôpital. Se tenant parfaitement droite, son regard froid se posant sur tous ceux qui croisaient sa route, elle hochait simplement de la tête pour les saluer avant d'arriver enfin à l'établissement de soin.

S'approchant du bureau de l'accueil, elle plongea son regard dans celui de l'infirmière

«Bonjour, Pétunia Milloir. J'ai rendez-vous avec le Docteur Peebles ce matin.»
La jeune femme se mit à regarder dans ses dossiers jusqu'à trouver le carnet de rendez-vous et hocha la tête
«Oui, Madame Milloir. Vous êtes bien inscrite. Vous savez où se trouve son bureau?»
«Non.» elle n'avait encore jamais eu besoin de venir voir Wrath à son bureau à l'hôpital, lorsqu'ils se voyaient, c'était toujours aux rares réunions du Conseil, excepté l'avant-veille où elle l'avait intercepté alors qu'il allait justement au travail. Il n'avait pas pu la recevoir le jour même ni le lendemain, mais lui avait donné rendez-vous donc ce jour-ci.

L'infirmière lui expliqua comment s'y rendre et la krityenne s'y dirigea d'un pas vif. Elle avait un bon sens de l'orientation et trouva rapidement le bureau avec la petite plaque au nom du guérisseur. Elle frappa trois fois à la porte, sa simple aura serait suffisante pour qu'il sache que c'était elle, inutile de prononcer le moindre mot.

La matinée débutait à peine, et Wrath se sentait d'humeur égale. En réalité, cette sensation était plutôt étrange, comme si les émotions n'étaient pas décidées à se manifester aujourd'hui. Il ne se sentait pas particulièrement fatiguée, simplement il n'arrivait pas à mettre un nom sur ce qu'il ressentait... mais à part le mot « rien ». Comme un grand vide, en lui et tout autour. Comme s'il était ailleurs. Ailleurs que dans cette vie. Mais où ? Quelques visages familiers passaient sans s'arrêter dans ses souvenirs. Lucy. Dubhe. Prouh. Lurius. Myria. Cixi. Anna. Était-il las ? Était-il triste ? Il ne savait pas, comme s'il était vide, comme s'il n'était plus qu'un étranger qui regarde son propre corps classer des dossiers comme une machine. Tout juste ses yeux se levèrent-ils sur la porte lorsque des coups y furent portés.

Absent. Oui, c'était cela.

« Entrez, c'est ouvert. »

Il posa les quelques fiches qu'il essayait de lire depuis dix bonnes minutes, réalisant du même coup qu'il n'en avait pas retenu un seul mot. C'est à peine s'il savait de quoi cela parlait, et pourquoi il les lisait. Pourquoi au juste ? Renonçant à chercher la réponse maintenant, il se leva pour accueillir son premier patient de la journée. C'était le moment de reprendre du service... peut-être devrait-il se servir une triple dose de café pour se remettre d'aplomb ? D'un geste machinal, il recula le petit fauteuil qui faisait face au sien et accueillit Pétunia avec un sourire aimable, l'invitant à s'asseoir avant de contourner son bureau calmement.

« Bonjour mademoiselle Milloir. Je suis désolé de ne pas avoir pu vous recevoir avant aujourd'hui. Comment allez-vous ? »

Bien entendu il pouvait tout aussi bien le deviner, mais par respect, il préférait laisser ses patients se confier d'eux-mêmes. Son objectif étant d'aider, il n'envisageait pas de s'introduire de force dans l'esprit de ceux qui le visitaient. L'intrusion ne faisait pas vraiment partie de l'idée qu'il se faisait de la confiance, or pour son métier, cette confiance était essentielle. S'asseyant gentiment, il posa les coudes sur son bureau et croisa les doigts, observant Pétunia avec un sourire engageant que l'on pouvait traduire par un « Dites-moi tout ».

Elle n'avait pas eu à attendre bien longtemps que Wrath lui demandait d'entrer avec tout le respect dont ils devaient se faire preuve l'un envers l'autre. Ils n'avaient jamais été proches, d'un autre côté, il ne fallait pas oublier qu'elle faisait partie du Conseil de Guerre et lui des Mages, alors ils ne se voyaient finalement qu'une fois par mois lors des réunions générales. Il arrivait aussi qu'ils se croisent un peu à l'école ou simplement en ville, mais ils n'avaient jamais pris le temps d'apprendre à se connaître réellement.

«Bonjour Seigneur Peebles. Ne vous inquiétez pas, je n'étais pas à une journée près»

Elle entra et s'installa face à lui, voyant qu'il attendait patiemment qu'elle lui explique la raison de sa visite. Elle garda un air parfaitement neutre, plutôt froid même comme à son habitude. Elle avait croisé les jambes et tenait l'un de ses genoux entre ses mains aux doigts croisés.

«Bien. Cependant...» elle tendit le bras derrière elle et un sceau rouge apparut sur la porte, signe qu'elle venait d'insonoriser la pièce. Elle ne doutait pas que le guérisseur avait peut être apposé un sceau du même genre depuis longtemps, mais elle préférait se montrer prudente «Désolée, je préfère que cela reste entre nous.»

Ne manifestant nulle gêne ni malaise, elle plongea son regard dans celui du krityen en se tenant toujours parfaitement droite

«Si je viens vous voir, c'est que... j'ai du retard. D'un peu plus d'une semaine maintenant. Et dans la mesure où j'ai eu une aventure il y a peu, je pense être enceinte.»

Il n'avait pas besoin de d'avantage de détails. Elle attendit patiemment sa réaction, mais préféra prévenir rapidement afin de ne pas avoir un de ces sourires pleins de bonheur et de félicitation lorsqu'on annonçait ce genre de nouvelle

«Vous comprendrez bien qu'il s'agit d'un incident et que, dans ma condition, il est hors de question que cela se sache, et je ne tiens pas à le garder. C'est pourquoi je suis venue vous voir.»

Effectivement, une krityenne membre du Conseil de guerre qui serait enceinte sans être mariée, on pouvait dire que ce serait très très mal vu!

Un sourire se dessina sur le visage du krityen alors qu'il observait sa patiente. Pétunia était calme, et s'il n'avait pas encore eu l'occasion de discuter suffisamment avec elle pour la connaître davantage, il n'en avait pas moins noté chez elle une certaine froideur dans ses attitudes. Patient, il la laissant apposer un sceau sur sa porte sans remuer d'un cil, attentif comme un observateur qui craint d'effrayer un oiseau. Manifestement, la jeune femme ne lui faisait pas confiance et se méfiait, mais laissant à d'autres le soin de la juger sur cette première impression, il la laissa faire. Intérieurement, il tenta d'imaginer sa secrétaire coller son oreille à sa porte pour entendre la conversation, et trouva cette pensée tout à fait ridicule. Pour commencer elle avait bien d'autres choses à faire, ensuite Wrath mettait un point d'honneur à ce que le personnel respecte la vie privée de ses visiteurs. Tout du moins ceux qui travaillaient pour lui, car il n'était pas directeur de cet hôpital et n'y officiait lui-même qu'en tant qu'employé.

Aussi la confiance mutuelle et le respect étaient les critères essentiels pour travailler à ses côtés, et ses assistants comme ses secrétaires le savaient d'autant que tous savaient qu'il exerçait également en tant que psychologue. La règle d'or à ses côtés était que ce qui se disait dans son bureau ne devait jamais en sortir, aussi anodine que puisse sembler une confidence.

Pour l'heure, si Pétunia Milloir estimait préférable d'insonoriser la pièce pour s'y sentir en sécurité, Wrath n'allait pas l'en empêcher. Son rôle à lui était d'écouter, et d'aider s'il le pouvait. Aussi se fit-il rassurant, comme il était de son devoir de l'être. Fut-ce grâce à sa patience que la jeune femme se décida à se confier ou bien n'éprouvait-elle tout simplement aucune pudeur ? Toujours fut-il que le krityen marqua un temps de surprise face à ses propos. Non pas qu'il les ait trouvé particulièrement choquants – il fallait bien avouer que de part son métier, il avait entendu, vu et ressentit bien pire – mais au contraire de Pétunia il était plutôt pudique, et s'étonna qu'on puisse ne pas l'être autant que lui... voir pas du tout !

« Bien. » Conclu-t-il au bout d'un moment.

Il décroisa les doigts, cherchant brièvement quelque chose à ajouter. En réalité, la jeune femme le prenait au dépourvu. Elle semblait à ce point certaine de sa décision qu'elle ne lui laissait guère le choix. Elle savait ce qu'elle voulait, et il n'était pas de son ressort de tenter de l'en dissuader. En revanche, il préférait s'assurer que cette décision était belle et bien réfléchie et consentie, et n'ait pas été prise sous la contrainte, de quelque sorte qu'elle soit. Fermant les yeux un bref instant, il pris une profonde inspiration, priant presque pour le bon déroulement de la conversation à venir, Pétunia ne s'annonçant pas particulièrement chaleureuse... et plutôt trop décidée.

« Sauf votre respect, j'aimerai simplement m'assurer que cette décision émane bien de vous, et que vous l'acceptez. Je ne veux pas que vous puissiez regretter quoi que ce soit parce que vous auriez agit sous la contrainte, vous comprenez. Les remords finissent toujours par nous rattraper bien assez tôt. Les mains à plat sur son bureau comme s'il allait se lever, il se recula légèrement sur sa chaise avant de poursuivre. Qu'en dit votre esprit ? »

Car à moins d'être totalement insensible au mana, ils étaient bien trois - sinon quatre - dans son bureau.

Les jambes croisées, ses doigts entrelacés autour de son genou, la krityenne affichait un regard particulièrement profond à l'attention du guérisseur. Évidemment, elle se doutait bien qu'il allait lui poser quelques questions d'abord, cela faisait partie de son travail de toute manière n'est-ce pas? Alors qu'il voulait s'assurer que personne ne la forçait à quoi que ce soit, elle eut un très léger sourire en coin

«Je comprends votre inquiétude. Il n'y a pas de contrainte là dedans. Sachez que je ne veux pas avoir d'enfant pour le moment, je n'ai pas de temps à perdre là dedans et, comme vous le savez, les traditions krityennes ne me permettent pas d'avoir un enfant sans être mariée. Je risque gros dans cette histoire, et c'est pourquoi je suis venue vous voir, vous. Car je sais que vous serez suffisamment discret pour que cet incident ne s'ébruite pas.»

Elle haussa ensuite un sourcil lorsqu'il parla de l'esprit, elle baissa les yeux vers son ventre avant de regarder de nouveau le krityen «Quant à Polaris, nous n'avons pas pactisé. Il reste auprès de moi, rien de pl...» elle sentit alors l'aura glacée l'envahir avant que l'esprit ne jaillisse hors de son corps, flottant à quelques centimètres du sol.

«Moi je ne suis pas d'accord. On n'a peut être pas pactisé, mais j'aime bien Pétunia moi!» la krityenne avait désormais une main sur la poitrine et paraissait contrariée alors qu'elle regardait l'esprit. Justement, il s'agissait d'un esprit et normalement, elle se devait de le respecter «Polaris, je comprends que l'idée de mettre fin aux jours d'un bébé ne te plait pas, mais tu es éternel, et je suis encore jeune, j'ai bien le temps avant d'avoir des enfants.» puis elle revint vers le guérisseur, d'une certaine manière, elle espérait un peu de soutien de sa part, car il n'était pas vraiment évident de discuter avec un esprit, surtout Polaris qui avait toujours gardé un comportement très enfantin. «C'est juste que ce n'est pas le moment. Et tant qu'à faire, je préfère avoir un enfant avec un homme que j'aime.» et elle se dépêcha de se tourner vers Polaris qui savait très bien qu'elle aimait déjà le père de son bébé, mais cela, Wrath ne le savait pas «Et que j'aurais épousé.» histoire d'avoir un bon argument.

Le regard de l'esprit se fit alors particulièrement triste, ses petites pattes recroquevillées devant lui. Il leva les yeux vers Wrath, comme s'il cherchait à lui demander de la convaincre malgré la détermination de la krityenne... Pétunia commençait à se dire que c'était vraiment une mauvaise idée d'avoir accepté de garder Polaris près d'elle. Elle l'avait fait surtout pour qu'il soit proche de sa sœur Zéphyra, mais elle ne s'était pas attendu à ce qu'il s'immisce dans sa vie à ce point et qu'il s'attache à elle de la sorte.

Silencieux et attentif, Wrath hocha simplement la tête face à la détermination de sa patiente. Manifestement, la décision de ne pas garder l'enfant émanait bien d'elle, ses arguments le prouvaient et semblaient mûrement réfléchis. Sans-doute qu'un autre médecin lui aurait reproché de ne pas avoir pensé aux conséquences de ses actes avant, mais le krityen ne faisait pas partie de cette horde là. Il savait trop, de par les confidences qu'il avait entendues en tant que psychologue, que les choses étaient souvent plus compliquées et plus subtiles que lorsque l'on était tranquillement installé dans un fauteuil à reprocher des situations qu'on n'avait pas vécues. Pétunia savait ce qu'elle voulait, et surtout ce qu'elle ne voulait pas. C'était tout ce dont il souhaitait s'assurer.

Se reculant légèrement dans son siège, il passa le dos de ses doigts sur son menton avec un sourire en voyant Polaris surgir à l'improviste et manifester son désaccord avec une certaine... puérilité ? Écoutant sagement le bref échange entre Pétunia et l'Esprit avec lequel elle n'avait pas pactisé – détail qui avait son importance – le guérisseur réfléchissait déjà sur une manière de prendre la défense de la krityenne. Car oui, il s'agissait de sa vie et de ses choix, et malgré tout le respect qu'il avait lui-même pour les Esprits, il ne pouvait pas se résoudre à laisser quiconque décider pour l'une de ses patientes. Surtout sur un sujet aussi délicat. Un enfant, ce n'était pas rien, bien au contraire.

« Et bien, Polaris... Se lança Wrath avec douceur. Savez-vous ce qui se passera si mademoiselle Milloir garde cet enfant ? Il marqua une courte pause, laissant tout juste assez le temps à l'Esprit de comprendre où il venait en venir tout en se laissant l'occasion de l'interrompre pour le mettre lui-même face à la réalité. Pétunia sera très probablement bannie de Myorzo, et renvoyée du Conseil de Guerre. Surtout, elle sera considérée comme une femme impure. Ce sont des choses qui la rendront malheureuse. Très malheureuse. Vous ne voulez pas qu'elle soit malheureuse, n'est-ce pas ? »

Le krityen ne poussa pas le vice jusqu'à ajouter « par votre faute », mais il savait qu'il était implicite et que Polaris comprendrait... ou du moins il l'espérait. Il s'en voulut un peu de s'adresser ainsi à un Esprit comme s'il s'agissait d'un enfant, mais du peu qu'il avait entendu... Polaris semblait en être un !

Si n'importe qui aurait été apeuré en entendant les énoncés du krityen vis à vis de ce qu'elle risquait si l'on apprenait qu'elle était enceinte sans être mariée, ce ne fut pas le cas de Pétunia. D'une part, elle était déjà pleinement consciente de tout cela, le Seigneur Peebles lui-même avait été banni quelques temps de Myorzo pour avoir eu une simple relation avec une humaine, bien qu'il avait eu alors l'autorisation de revenir pour les réunions du Conseil uniquement. Cet état de fait avait changé après l'attaque de la capitale, et si le clan était bien plus ouvert aux humains qui leur avait sauvé la vie au cours de la bataille, certaines traditions allaient avoir du mal à changer et en particulier envers les femmes.

Une femme ne pouvait avoir de rapports sexuels avec un homme sans être mariée, certes, désormais, c'était tout de même plus difficile de le vérifier car très peu de familles célébraient encore la cérémonie de pureté, mais il était évident que si elle était venue à vouloir épouser un homme de haute noblesse krityenne, elle aurait du s'y coller et alors l'on aurait su qu'elle n'avait pas attendu le mariage de toute manière. Certes, désormais, les kityens sont plus ouverts, et si elle venait à vouloir épouser un humain, peut être qu'elle ne risquerait rien, en particulier grace à Lissandre Andùrin qui s'apprêtait à donner naissance aux jumeaux de l'Empereur, mais il n'empêchait que les Andùrin étaient très mal vus de certaines hautes familles krityennes, et seule la puissance de la famille en elle-même au sein de l'administration les avait réellement protégés d'être bannis, et peut être aussi le lien qui les unit à la famille Elmundïr, les deux patriarches s'étant toujours bien entendus.

Mais la concernant, elle n'avait rien pour la protéger, elle n'était pas issue d'une famille aussi influente et son rôle au sein du Conseil de Guerre n'était pas irremplaçable. C'est pourquoi, à moins d'épouser rapidement le père de son enfant, ce qui n'était pas concevable pour le moment, elle ne pouvait le garder. Elle aurait pu disparaître le temps d'accoucher et l'abandonner à l'orphelinat, mais elle ne se voyait vraiment pas rester 9 mois à ne rien faire qu'à part attendre de pondre un mioche.

Polaris avait bien écouté les paroles du krityen et avait baissé honteusement les yeux «Non, je ne veux pas qu'elle soit malheureuse... mais... une vie est une vie, non? Ne doit-on pas se battre pour protéger toute vie en ce monde? N'y a t'il aucun moyen pour qu'elle le garde? Ne peut-elle pas se cacher, le mettre à l'adoption et revenir l'adopter plus tard?» la krityenne eut un léger sourire. Le fourbe avait évidemment trouvé cette idée dans son esprit, et le plus drôle était probablement qu'elle n'était pas la seule à avoir eu cette idée, mais cela, elle l'ignorait. Elle hocha la tête de gauche à droite cependant

«Il y a bien assez de disparitions mystérieuses en ce moment. Et je ne me sens pas prête à être mère, Polaris. Mais je te promets qu'un jour je le serai, et peut être que d'ici là, toi et moi aurons pactisés et tu pourras donc être encore plus proche de cet enfant.»

Malgré le ton assez doux employé, elle gardait toujours son regard aussi froid et revint vers Wrath Peebles, n'ayant pas changé de position, les jambes croisés et les doigts entrelacés pour maintenir son genou relevé

«Veuillez nous excuser pour ce léger contre-temps. Pensez-vous pouvoir m'aider assez rapidement?» évidemment, elle ne précisa pas en toute discrétion, le krityen avait très bien compris le côté délicat de la situation. Malgré tout, quoi que Pétunia ait pu dire, Polaris ne semblait toujours pas d'accord pour qu'elle perde cet enfant... flottant toujours à quelques centimètres du sol, il ne cessait de lancer à Wrath ce même regard implorant afin qu'il trouve une autre solution... s'il la demandait en mariage par exemple? Ah oui non... l'enfant qui allait naître serait demi-krityen... mais elle pouvait toujours épouser le père non? Pourquoi elle ne voulait pas puisqu'elle l'aimait? Il était possible que l'Esprit finisse par commettre une bourde à force de vouloir l'empêcher d'avorter.

Wrath sourit patiemment. Quelque part, il était un peu soulagé que Polaris comprenne, et surtout qu'il ne s'offense pas des propos du guérisseur.

« Se cacher, pourquoi pas en effet. Mais neuf mois c'est un peu long sans voir ses proches, isolée de tout, de son métier, de ceux qu'elle aime. Elle ne sera pas heureuse, pas heureuse du tout. Et puis elle a raison, il y a un peu trop de disparitions étranges ces temps-ci sans ajouter la sienne. Et ça rendrait triste ses amis aussi, de ne pas savoir où elle se trouve et si elle va bien. »

Il ne put s'empêcher d'avoir une pensée pour la disparition de Cixi Elmündir à cet instant. Quelques jours plus tôt, Lurius Ronanin lui avait appris qu'elle avait manqué le dernier Conseil... et que personne ne savait où elle se trouvait. Wrath pas plus qu'un autre. Aussi, durant une brève seconde alors qu'il était aux prises avec un Polaris un peu capricieux, il se prit à espérer, le cœur serré, que rien ne lui était arrivé. Où était-elle ? Avait-elle disparu de son plein gré ou était-elle au-devant des pires ennuis ? Nul ne savait. Pourquoi personne ne le savait ? Wrath détourna le regard qu'il fixa quelques secondes sur un dossier posé sur son bureau, comme pour s'obliger à revenir à l'instant présent. Relevant le menton vers Polaris, il reprit plus doucement, d'un ton étonnamment calme, presque lointain, hésitant à énoncer son dernier argument, conscient que celui-ci n'était pas toujours bien reçu.

« Et puis techniquement ce n'est pas encore une vie pour l'instant. Un fœtus, c'est à peine un œuf qui n'a pas fini d'éclore. Rassurez-vous, nous ne ferons de mal à personne. Enfin, rien ne dit que Pétunia soit effectivement enceinte. » Ajouta-t-il poliment.

Son regard se reporta sur elle. Il avait délaissé son sourire au profit d'un sérieux engageant. Sans austérité ni froideur, intéressé sans se montrer trop curieux, aimable sans avoir l'air euphorique.

« Permettez-vous que je vérifie ? »

Finalement, Polaris n'avait pas trouvé un allié en la personne de Wrath, le krityen gardait évidemment un côté particulièrement rationnel ce qui était toujours mieux quand on faisait ce métier. Parfois il y avait des choses qu'on n'était pas prêt à entendre, mais sa voix était toujours calme et posée, et à sa connaissance, elle ne l'avait jamais vu s'emporter, même pendant quelque débat houleux du grand conseil. D'ailleurs, ne faisait-il pas partie de ceux qui avaient été soigneusement écartés au cours de l'affaire du sort lancé à l'encontre de Cixi Elmundïr? Il était évident qu'il n'aurait jamais pu accepter une telle chose, influencer l'esprit de quelqu'un afin de le forcer à penser comme vous n'a jamais été dans ses intentions.

Aussi avait-elle seulement hoché la tête suite aux explications de Wrath concernant la perspective de se cacher. Peut être auraient-ils pu mettre en commun leurs idées concernant la mystérieuse disparition de Cixi puisque, d'une certaine manière, elle-même avait mis cette notion sur le tapis, mais dans la mesure où elle comptait aller vérifier par elle-même à la Dépression de Releweise si l'Ancien était bien passé par là bas, il valait mieux qu'elle garde le silence pour le moment. Cependant, ce qui intrigua la jeune femme fut lorsque le guérisseur signalait qu'elle n'était peut être pas enceinte... de sa vie, jamais elle n'avait été irrégulière, aussi elle ne voyait pas comment cela pourrait être possible, mais après tout, elle n'était pas du tout une experte en la matière, et d'un seul coup, sans qu'elle ne sache pourquoi, une autre perspective venait de naître en elle... et si elle avait un problème qui faisait qu'en réalité elle n'aurait plus d'enfant? En soit, ce ne serait pas la fin du monde, d'ailleurs, cela faisait bien longtemps qu'elle s'était même plutôt résignée à l'idée de l'adoption un jour puisqu'elle ne se serait jamais vue avec un homme. Mais maintenant..

Enfin, inutile de penser à cela pour le moment, aussi lorsque Wrath lui demanda pour vérifier, elle hocha la tête et se dirigea vers la petite table pour pouvoir s'allonger. Déliant le haut de sa tunique pour libérer son ventre, elle resta ainsi ben à plat sur le dos, parfaitement détendue et sans pudeur même si elle portait encore ses sous-vêtements. Elle pencha un peu la tête pour voir ce que Wrath faisait, puis elle se tourna vers Polaris d'un air un peu curieux

«Polaris, ne pouvais-tu pas le sentir si j'étais enceinte en étant dans mon corps?» mais le petit dragon hocha la tête de gauche à droite

«Non... nous n'avons pas pactisé aussi, si je suis dans ton corps, je ne peux avoir accès que ce que tu veux bien me montrer, et rien que toi... même quand il grandira dans ton ventre, moi je ne pourrai que ressentir ce que toi tu ressens et ce que tu veux bien que je ressente aussi, je ne le sentirai pas lui... ou elle.» effectivement, c'était un peu subtile en réalité, mais elle comprenait ce qu'il voulait dire. Elle se tourna alors vers Wrath histoire d'en avoir le cœur net, donc.

Se levant à son tour, Wrath laissa sa patiente se mettre à l'aise sans la déranger. Il prit le temps de ranger un ou deux dossiers qui traînaient puis la rejoignit, tirant, après son passage un rideau opaque. Le tissu créait ainsi un espace plus intime, rassurant et protecteur pour le cas où un employé se serait avisé d'entrer sans frapper. Ça n'était jamais arrivé, mais le guérisseur préférait prévenir que guérir, et il savait d'expérience que beaucoup de ses patientes appréciaient cette sorte de petit cocon abrité. Contournant la petite table-lit, il alla se laver les mains et revint vers elle d'un pas tranquille quoique assuré.

« Et bien nous allons regarder ça. » Répondit le Guérisseur à Polaris avec un sourire rassurant.

Prenant une profonde et lente inspiration, le krityen laissa sa main flotter à quelques millimètres au-dessus du ventre de sa patiente. Les yeux fermés sur un visage concentré, il donnait l'impression d'un homme studieux, peut-être même un peu soucieux, absorbé par la complexité d'un problème retord. Bientôt, une lueur bleutée se mit à danser autour de ses doigts, glissant à même la peau comme de petits serpents affairés. Pétunia étant de l'élément Glace, il préférait faire usage de cette même magie comme s'il souhaitait l'apprivoiser sans être perçu comme un intrus. Sa main se déplaçait lentement, s'arrêtant parfois, reprenant sa route sans jamais toucher la krityenne jusqu'à ce qu'un tic vienne creuser une ride inquiète au coin de ses yeux. Il pencha la tête comme s'il se concentrait davantage, brisant le silence d'une voix prudente et feutrée. Rouvrant les yeux, il se redressa et recula d'un pas.

« Vous êtes belle et bien enceinte... de très peu cependant. Sa main s'immobilisa tout à fait et il rouvrit doucement les yeux afin de les plonger dans ceux de Pétunia. Vous êtes sûre ? » Demanda-t-il sur le même ton que s'il lui avait demandé si elle était prête.

Si le guérisseur faisait attention au moindre détail concernant l'intimité de ses patientes, la krityenne n'en avait pas vraiment besoin, mais probablement qu'une part d'elle appréciait cela dans le sens où cela reflétait le professionnalisme de son confrère. Fermant les yeux, elle sentait la chaleur du bout de ses doigts tourbillonner alors qu'il examinait l'intérieur de son ventre afin d'y déceler cette petite source de vie qui n'en était pas encore une.

Lorsqu'il annonça son verdict, étrangement, elle ressentit comme un soulagement. Non pas qu'elle voulait finalement le garder, juste qu'elle était rassurée de savoir qu'au moins... elle pouvait en avoir. Et de «lui» en prime. C'était suffisant pour la soulager pour le moment, même si cette perspective mettrait probablement quelques années avant de se présenter à nouveau et c'était bien mieux ainsi.

Elle tourna son regard vers Polaris dont les yeux brillaient d'un espoir non dissimulé, celui que maintenant qu'elle avait confirmation, elle changerait d'avis. Wrath lui demanda alors si elle était sure et elle haussa un sourcil en baissant la tête vers son ventre «Vous... vous pouvez agir comme ça? Sans préparation?» elle n'avait jamais su comment tout cela fonctionnait. En soit, un sort magique pouvait tuer quelqu'un alors pourquoi n'existerait-il pas un sort capable de tuer un être aussi minuscule? Le guérisseur était suffisamment réputé pour connaître ce genre de sort. Elle se tourna vers Polaris et sourit doucement

«Polaris. Dis-toi que si je suis enceinte, c'est que je pourrai l'être à nouveau? N'est-ce pas le plus important? Et je te promets que lorsque ça arrivera, je partagerai tout avec toi... qu'en penses-tu?»

Il sembla un peu plus rassuré sur le moment, et hocha donc tristement de la tête quand même. Puis elle se tourna vers Wrath en reprenant son air neutre et assuré «Avant, j'aimerais savoir s'il risque d'y avoir des complications. Je ne voudrais pas me retrouver alitée trop longtemps pour ne pas que l'on se doute de quelque chose, ou alors il faudra que vous me souteniez pour trouver une explication cohérente pour le reste du clan.»

Car il fallait se rendre à l'évidence, Pétunia était très rarement malade, et qu'elle se retrouve dans l'incapacité d'assurer ses cours ou ses entraînements d'un seul coup, certains ayant des connaissances dans ce domaine pourraient très bien faire le rapprochement avec le temps nécessaire à la récupération d'un avortement. Donc, s'il n'y avait pas de vraies complications, elle était prête. Sinon, il faudrait remettre cette intervention à plus tard afin de trouver d'abord une explication convaincante pour le clan.

Wrath sourit plus franchement à la question de la krityenne et dégagea doucement sa main avant de reculer d'un pas, rompant le contact tant avec la jeune femme qu'avec le fœtus à peine formé.

« Non, bien sûr que non. Je voulais vous tester, voir si vous ne reculeriez pas même en ayant confirmation que vous étiez enceinte. Ne le prenez pas mal. Vous pouvez vous rhabiller, je vais vous expliquer. »

S'éloignant de quelques pas, il se lava une seconde fois les mains et retourna à son bureau. En attendant que Pétunia se rhabille et le rejoigne, il sortit un dossier sur lequel il inscrivit « Pétunia Milloir », et qu'il estampilla d'un gros tampon « CONFIDENTIEL ». S'appliquant quelques instants à en remplir quelques lignes, il délaissa toutefois sa tâche lorsque la krityenne vint se rasseoir face à lui.

« Bien. Pour commencer je dois vous dire que nous ne ferons pas cela aujourd'hui. Je suis obligé de respecter un délai d'une semaine entre le jour de votre demande et le jour de l'intervention. Même si vous êtes décidée, même si vous êtes pressée. Je suis navré, c'est le délai. Mais rassurez-vous, cela n'aura aucune incidence sur la suite des opérations. Nous nous reverrons après cette semaine de réflexion, qui sera aussi l'occasion pour vous de vous reposer et de vous détendre. »

Rebouchant son stylo sans empressement, il se redressa dans son fauteuil et s'adressa avec franchise à sa patiente pour le moins... inattendue. Bien sûr il demeurait attentif à Polaris, et s'efforça de parler posément en s'exprimant de la manière la plus compréhensible qu'il put.

« Je vais vous exposer toutes les techniques qui sont à notre disposition, et pendant cette semaine, vous pourrez réfléchir à celle qui vous convient le mieux. »

Le Guérisseur entra alors dans un long monologue entrecoupé de pauses afin de permettre à ses interlocuteurs de bien comprendre, mais aussi de poser les questions qui leur passaient par la tête. Il commença par un exposé sur le traitement médicamenteux, détaillant patiemment son fonctionnement et ses effets secondaires, la rassurant autant qu'il la mettait en garde, sans rien lui dissimuler ni des désagréments ni de l'efficacité du traitement. Puis il se lança dans l'explication de l'option la plus redoutée de ses patientes, à savoir l'intervention chirurgicale. Là encore il s'appliqua à ne rien omettre, usant d'un vocabulaire simple, proposant différentes anesthésies, locale, générale, présentant honnêtement les avantages et les inconvénient.

Lorsqu'il en eut terminé, il marqua une nouvelle pause comme pour s'assurer que tout était clair.

« Dans tous les cas nous ne nous reverrons que dans une semaine. Et bien entendu, ajouta-t-il avec un sourire alors qu'il posait sa main à plat sur la chemise cartonnée au nom de sa patiente, ce dossier sera scellé. Sauf pour le cas où vous choisiriez une anesthésie générale, je pourrai passer chez vous si cela vous semble plus discret ? »

Se rhabillant lentement, la krityenne resta donc seule à fixer un point invisible sur le mur. Oui, elle était soulagée, cette histoire serait bientôt terminée et elle pourrait alors voir avec Estrello pour avancer un peu sans qu'ils ne soient forcés à quoi que ce soit. Se relevant doucement, le menton relevé, affichant toujours son air neutre, glacial mais digne, elle rejoignit rapidement le bureau du krityen qui préparait déjà le dossier pour elle.

Si Polaris resta un peu au début, il décida finalement de retourner dans le corps de Pétunia, et la jeune femme essaya quelques secondes de se concentrer afin de permettre à l'esprit de ressentir un peu l'enfant, sans savoir si elle y parvenait dans la mesure où elle ne savait pas comment faire ressentir quelque chose qu'elle-même ne ressentait pas encore. Ramenant de nouveau son genou près de son corps, ses doigts croisés le maintenant relevé, elle attendait que le guérisseur lui explique toutes les démarches. En soit, elle préférait le principe des potions. Tout le monde prenait des potions pour tout et n'importe quoi: se renforcer, augmenter sa résistance physique ou mentale, et bien d'autres encore. Aussi, il ne serait pas étrange si elle était surprise à en prendre. Certes, il y avait également des risques d'effets secondaires ou autres, mais elle préférait cette méthode.

Malgré tout, Wrath demanda à ce qu'elle prenne une semaine pour y réfléchir, et elle trouvait cela tout à fait normal.

«Oui. Je suppose qu'il vaut mieux que je puisse y réfléchir sérieusement. Malgré tout, et ce après avoir bien écouté vos recommandations, je vais opter pour le traitement par potion. Mais je vous donnerai donc ma réponse définitive d'ici la semaine prochaine.» décroisant les jambes, elle se leva et tendit son bras envers Wrath, un léger sourire en coin assez froid tout de même

«J'espère sincèrement que cette conversation ne quittera jamais ces murs, Docteur Peebles. Je n'aimerais pas devoir trouver un mage qui vous lancerait un sort d'amnésie.» d'une certaine manière, c'était une plaisanterie. Wrath avait une réputation sans la moindre tache si l'on retirait cet épisode avec Anna ou Trixie elle ne se souvenait plus laquelle des frangines. Et dans la mesure où elle-même était avec un humain désormais, elle ne risquait surement pas de lui jeter la pierre. Lorsqu'ils se furent serré la main, elle s'inclina respectueusement et se prépara à sortir. Posant la main sur le mur pour retirer le sceau de silence, elle se retourna une dernière fois

«Je vous dis donc à la semaine prochaine, Docteur. Et...» elle hésita une seconde avant d'afficher un air un peu triste, ou sombre peut être «Merci. Sincèrement. Pour votre aide.» elle hocha juste la tête et sourit avant de se retourner et sortir. Cette entrevue s'était bien passée, elle pouvait partir avec Estrello l'esprit tranquille.

Wrath hocha la tête. Il n'était pas étonné du choix de la jeune femme. Beaucoup de ses patientes dans la même situation préféraient – au même titre qu'elle – les potions à la chirurgie, et il estimait légitime l'appréhension d'une intervention, là où le traitement médicamenteux semblait plus « doux ». Préférer les effets secondaires de potions à la crainte d'un mouvement malheureux susceptible de vous priver de la possibilité d'enfanter, oui, il s'y était attendu. Et c'est avec un sourire qu'il accueillit cette décision, confirmant posément qu'ils auraient l'occasion d'en reparler dans une semaine. Puis Pétunia se leva afin de prendre congé, et le Guérisseur retrouva la mobilité dynamique qu'il avait mise de côté au profit d'un calme rassurant.

En reconduisant la krityenne à la porte, il fronça les sourcils en mimant l'étonnement de celui qui ne se souvenait de rien de ce qu'il s'était dit ces dernières minutes.

« De quelle conversation parlez-vous ? » Demanda-t-il sans attendre de réponse.

Mais lorsque la jeune femme eut quitté son bureau, il resta pensif quelques instants, se demandant sincèrement si Pétunia était sérieuse ou si elle plaisantait lorsqu'elle parlait de lui lancer un sort d'amnésie... Après tout, un tel sort avait bien été jeté contre l'Ancien...