Dame Jana Ael-Syal reposa son verre de liqueur sur la petite table basse, dans le séjour de sa résidence à Eloher Winderebeth. En tant que représentant de l’Empire dans les deux cités multiclans d’Eloher et d’Aurnion, elle possédait un pied-à-terre dans les deux cités. Mais si elle restait une femme de goût, Jana n’était nullement du genre à afficher un lustre ostentatoire et à s’y complaire, comme trop de ses collègues sénateurs. Ses appartements étaient avant tout fonctionnels, pratiques et reflétaient la discrétion dont elle avait toujours fait preuve. L’ancienne espionne impériale était arrivée hier au soir, prête à passer quelques jours à Eloher afin d’y régler les affaires courantes concernant l’Empire. Ensuite, elle partirait pour Aurnion, puis retournerait sans doute à la capitale, où une séance plénière du sénat était annoncée. Mais pour l’instant, elle avait de la visite, ce qui expliquait la bouteille de douce liqueur sur la table alors que le soleil n’était levé que depuis peu. Arrivée tard en ville la nuit passée, elle aurait bien besoin de ça vu comme on la tirait du lit…

Assise en face d’elle se trouvait une autre jeune femme, à l’allure digne et fraiche, comme si parader dès l’aube une armure sur le dos était ce qu’il y avait de plus naturel au monde. Le capitaine de la quatrième brigade des chevaliers impériaux, Diane Jaeger, était en effet vêtue de pied en cap : armure et bottes d’argent frappées par le sigle en ailes de sa brigade, cape bleue sur les épaules et sa grande épée à deux mains dans son fourreau, posée contre le fauteuil qu’elle occupait. Elle était arrivée avant l’aube à la tête d’un petit détachement de sa brigade, et avait simplement attendu que le soleil pointe le bout de ses rayons pour venir se présenter à la sénatrice. En apprenant que cette dernière était en ville, Diane avait aussitôt décidé de lui rendre visite, comme le demandait le protocole. Un capitaine des chevaliers se devait après tout d’accorder de son temps à un sénateur impérial. Ce qui aurait pu agacer Diane, si Jana n’avait pas été l’un des sénateurs qu’elle appréciait le plus. Le sentiment étant réciproque, Jana avait réussi à ne pas lui en vouloir d’être ainsi tirée du lit. Les deux femmes étaient arrivées depuis peu à de hautes fonctions, privilégiaient toutes les deux l’efficacité et utilisaient leur pouvoir pour le bien d’autrui avant le leur, ce qui leur permettait de témoigner respect et sympathie l’une envers l’autres. Même si, songea Jana en regardant le verre d’eau qu’avait accepté le capitaine, Jaeger pouvait parfois être un peu trop à cheval sur ces histoires de pureté des chevaliers.

« …et c’est pourquoi nous repartirons d’ici quelques heures. Cela fait maintenant plusieurs jours que je mène une de mes patrouilles dans l’Empire et au-delà, et notre chemin nous menant à Eloher, j’ai décidé d’y faire une brève halte afin que nous puissions nous reposer et nous réapprovisionner. En apprenant que vous étiez là, j’ai pensé venir vous saluer, et me voici. »

« Et vous avez bien fait, capitaine. » sourit Jana en réussissant à étouffer un bâillement.

Debout derrière elle, son homme d’armes personnel sourit derrière ses épaisses moustaches de morse d’un roux flamboyant. Pas très grand, Romo Lankin était fin de taille et s’élargissait au-dessus, musclé et trapu comme un tonneau. Cela lui donnait une curieuse allure, presque comique, mais il aurait bien mal avisé de sous-estimer le guerrier, qui savait très bien se servir de la grande épée qui pendait dans son dos. Impeccable dans son armure de cuir, le vieux briscard semblait être frais comme un gardon, comme à son habitude. Depuis bientôt vingt ans qu’ils voyageaient ensemble, Jana ne savait toujours pas comment il faisait, et se retint de lui lancer un regard noir. Il dut le deviner, car ses moustaches tremblèrent de plus belle sous les efforts faits pour cacher son sourire, et ses yeux pétillèrent. Ael-Syla leva brièvement les yeux au ciel, puis reporta son attention sur Diane Jaeger, qui elle aussi semblait parfaitement alerte et resplendissante dans sa tenue de fonction. Jana était encore vêtue d’une simple chemise de nuit sur laquelle elle avait passé un peignoir d’un bleu nuit presque noir, noué par une vieille ceinture de tissu.

« C’est toujours un plaisir que de rencontrer un officier de l’Empire. D’autant plus quand les temps sont calmes, et non l’épée à la main. Eloher et sa région ont connu assez de troubles dernièrement, et je suis contente que nous puissions tous souffler un peu. »

Le capitaine Jaeger sourit brièvement, mais, sérieuse de nature, reprit vite un air neutre.

« En effet, sénatrice. Mes chevaliers et moi avons connu une patrouille plutôt sans histoires dans les environs. Même les monstres et les bêtes sauvages se tiennent plutôt tranquilles. »

La quatrième brigade était sans doute ce qui se rapprochait le plus dans l’Empire du concept de chevaliers errants. Elle était organisée en plusieurs patrouilles qui parcouraient l’Empire et même au-delà, à la recherche de monstres, de criminels et autres créatures maléfiques à pourfendre afin de sécuriser les routes et les villages. Diane Jaeger prenait sa mission très à cœur et, souvent, elle dirigeait elle-même l’une ou l’autre patrouille, comme celle qui l’avait amenée à Eloher aujourd’hui.

« Espérons que cela durera. » répondit Jana. « Nous… » elle s’interrompit, relevant soudainement la tête, comme alertée par une cloche invisible. Le capitaine Jaeger avait agi de même, ainsi que Romo.


« Vous avez senti ça ? » s’enquit la sénatrice. Romo hocha doucement la tête, décrochant l’épée de son dos.

«Du grabuge. Des auras qui combattent, et clairement animées de mauvaises intentions. J’ai comme l’impression que le calme ne durera pas plus longtemps. » dit le capitaien Jaeger.

« Pourquoi est-ce que ça ne m’étonne pas ? » grogna Jana en se levant à son tour. Elle alla à la fenêtre, dont elle tira doucement le rideau pour jeter un œil dehors. Elle discerna plusieurs flashs de lumière, témoignant d’une utilisation intensive de pouvoirs magiques, et vit plusieurs citoyens courir désespérément dans tous les sens comme pour échapper à quelque chose. Plusieurs gardes de la ville se dirigeaient dans le même sens, sans doute vers l’origine du problème. Puis une sphère d’un bleu éclatant qui faisait presque mal aux yeux grossit de plus en plus dans le champ de vision de la sénatrice, qui se jeta à plat ventre sur le sol en hurlant un « Attention ! » ! Le projectile magique de glace s’écrasa contre la fenêtre, la faisant exploser en dizaines d’éclats de verre et de glace qui arrosèrent la pièce. Une couche du même élément bouchait maintenant la fenêtre, et Jana se releva en défroissant sa robe de chambre, Romo se glissant à ses côtés en un éclair.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? » demanda Diana.

« Des ennuis. »

La porte du séjour s’ouvrit à la volée sur un garde de la ville, l’air paniqué :

« Dame Ael-Syal ! Messire Lankin ! Capitaine Jaeger ! Eloher est attaquée ! Un groupe inconnu constitué de guerriers féroces, d’assassins cruels et de mages redoutables. »

« Comment ont-ils pénétré le périmètre de la cité sans que nous en soyons prévenus ? » demanda sèchement Jana, qui commençait sérieusement à se dire qu’il y avait des jours où on ferait mieux de rester couché…

« Ils ont neutralisé les guetteurs on ne sait comment, sénatrice. C’est la pagaille dans les rues ! Ils se sont divisés en trois groupes : le premier s’est attaqué à l’hôpital et au camp krytien, un autre a remonté la rue principale jusqu’à l’auberge, et le troisième semble s’en prendre systématiquement aux impériaux! »

« J’avais cru le remarquer, ça, merci bien. Vois savez ce que vous avez à faire lieutenant ! Envoyé des hommes aider les krytiens, d’autres à l’auberge et disséminer le reste dans la ville. Il faut protéger nos concitoyens. »

« Mes chevaliers et moi s’occuperont de la racaille qui s’en prend spécifiquement à l’Empire. Cela libérera des soldats de la ville pour aller aider les autres clans, et plus vite on s’occupera de ce qui nous tombe dessus, plus vite on pourra les rejoindre. » annonça le capitaine Jaeger de sa voix calme.

« On peut dire que vous avez choisi le bon jour pour passer venir nous voir ! » sourit Jana.

« N'est-ce pas? J’ai le chic pour dénicher les coins sympas. » Diane s’autorisa un autre de ses brefs sourires, et sortit dans le couloir en criant :

« BORIS ! »

Un chevalier en armure cuivrée et aux fantasques cheveux roses retenus sur le front par un bandeau déboula à l’appel de son nom, se battant avec son fourreau pour dégainer son épaule.

« Oui m’dame ! On a remarqué ! Les autre sont déjà dehors pour protéger les civils et repérer la menace. Je v’nais justement vous chercher. »

« Sénatrice, voici mon lieutenant, Boris Tartarov. »

« M’dame. » Tartarov salua Jana d’une courbette et manqua s’encoubler en réussissant enfin à sortir son épée. Diana poussa un bref soupir, avant de reprendre :

« Le lieutenant Tartarov et moi allons rejoindre les combats dehors. Je vous suggère de garder votre homme d’armes à vos côtés et de rester… »

« Et de rien du tout ! » rétorqua Jana. « Romo et moi venons avec vous. Vous allez avoir besoin de toute l’aide nécessaire, et je n’ai pas toujours été dans la politique, vous savez. » L’ancienne espionne d’élite sourit férocement, dégageant un pan de sa robe de chambre pour dévoiler sa jambe gauche, où deux poignards étaient attachés à une lanière de cuir. En un instant, elle se retrouva avec un dans chaque main et abandonna la robe, guère pratique pour ce qu’elle s’apprêtait à faire.

« Romo ? »

« Ici cheffe ! »

L’homme d’armes se tenait déjà derrière elle, l’aidant à enfiler une armure légère de cuir par-dessus sa chemise de nuit. Elle sauta ensuite dans ses bottes, et Diana la jaugea, visiblement impressionnée.

« Vous n’avez pas perdu la main ! »

« Pas vraiment. L’espionnage ou la politique, c’est encore plus semblable qu’on ne le croit. Allons-y ! »

La sénatrice, son homme d’armes et les deux officiers chevaliers sortirent dans la rue, parés au combat. Et grimacèrent.

« Dites, ils chantent extrêmement faux, non ? »

« Pire que vous un soir de beuverie, lieutenant ! Trèves de bavardages, voulez-vous ? »

Se dirigeant droit sur eux, continuant leur avancée dans la rue impériale. Les défenseurs dénombrèrent cinq guerriers à l’air aussi bien bâti que leurs voix étaient fausses, quatre assassins agiles et virevoltants à l’air sadique et trois mages psalmodiant leur sort, dont deux de glace et le dernier de foudre. Et, détail curieux, les magiciens avaient tout l’air d’être aveugles, semblant balancer leurs sortilèges ici et là pour faire le maximum de pagaille possible, ou dirigeant leurs attaques là où leur criaient de le faire les guerriers.

« Qu’est-c’que c’est qu’ce cirque ? » demanda Jana, interdite. « Romo ? »

« Aucune idée. J’ai jamais vu des gus pareils. Impossible de savoir s’ils font partie d’une faction de mercenaires quelconque. »

« On cherchera à savoir qui ils sont plus tard. L’important, c’est de protéger les civils et pour ce faire, mettre hors d’état de nuire ces sales brutes ! »

Joignant le geste à la parole, Diane s’avança d’un pas décidé à la rencontre des envahisseurs, son épée à deux mains brandies devant elle. Le lieutenant Tartarov et les cinq autres chevaliers de leur patrouille la suivirent. Jana, elle, avait remarqué les mouvements rapides des assassins qui contournaient déjà la tête de pont des chevaliers, soit pour continuer leur mortelle avancée, soit pour les prendre à revers. Et la sénatrice était bien décidée à ne pas les laisser faire l’un ou l’autre.

« Romo ? »

« Comme au bon vieux temps, ma dame. »

Le guerrier trapu sourit et fit jouer ses muscles, tandis que Jana se mettait dos à dos avec lui, en position de combat. Ils furent aussitôt remarqués par les assassins, qui virent là l’occasion de s’amuser à peu. Dans leurs têtes, une bonne femme qui avait passé une bête armure de cuir sur une chemise de nuit et un type achalandé comme une sorte de clown de foire ne pouvaient pas représenter une menace sérieuse… Et mal leur en prit. L’un des principaux défauts des assassins, voleurs et autres espions –et Jana était bien placée pour le savoir, ne faisant pas exception à la règle- était l’orgueil qu’ils tiraient de leurs réflexes et de leurs talents, se croyants intouchables. Et un bon assassin n’aimait pas les surprises. Surtout quand elles étaient clairement en leur défaveur. Le premier à se jeter sur eux, l’air sûr de lui, en fit les frais. Il avait visé Romo, persuadé que ce baril humain était encore plus lent qu’une tortue de guerrier normal… et eut juste le temps de réaliser son erreur avant de mourir. Romo avait frappé avec une vitesse surprenante, conférée par une expérience au combat d’au moins trois décennies. Les deux bras de l’assassin furent tranchés net au niveau du coude. Ne comprenant pas ce qu’il se passait, il tomba à genoux dans un gargouillis et fut achevé d’un coup en arc de cercle de l’homme d’armes, qui le décapita sans aucun effort. La tête alla rouler aux pieds de deux des collègues du mort, qui hurlèrent de rage.

Le troisième, lui, s’en était pris à ce qui était selon lui l’élément le plus faible du binôme : la « bonne femme » . Il était armés de griffes de métal sur chacune de ses mains et déchiraient l’air de coups rapides, toujours bloqués par les poignards de la sénatrice. Jana souriait même, gagnée par une excitation qu’elle n’avait pas éprouvée depuis longtemps : celle du combat rapide et mortel entre agents de l’ombre. L’une des griffes de son adversaire déchirait l’épaulette gauche de son armure et lui entailla légèrement la peau ; elle pesta intérieurement, se disant qu’elle manquait tout de même un peu d’exercice. Mais ce genre de chose revenait vite… Elle coinça la lame de sa main droite dans les griffes gauches de l’assassin. Et quand il frappa de sa main droite, elle attira d’une torsion les griffes piégées de son poignard, et l’assassin se retrouva avec ses deux mains coincées entre elles et par la lame de Jana, qui avait encore sa main gauche de libre. Du poignard qu’elle tenait dans celle là, elle égorgea sans s’émouvoir le malandrin, qui s’effondra sur le sol dans un râle. D’une botte, elle dégagea son couteau des griffes et fit volte-face. Romo et elle avait maintenant chacun un nouvel adversaire, et les deux assassins survivants tournaient maintenant autour d’eux comme des chats échaudés, rendus plus prudents par la défaite rapide de leurs camarades…

Du côté des chevaliers, le combats s’était engagés, féroce lui aussi. Deux membres de la quatrième brigade étaient blessés, mais l’un des guerriers ennemis était déjà à terre, mort.

« Repliez-vous, protégez les civils ! » cria Jaeger à l’adresse des deux blessés, qui reculèrent pour obéir aux ordres. A côté de son capitaine, Tartarov para de justesse la lame d’un autre guerrier, se baissant aussitôt pour éviter de se faire embrocher par le coup d’un autre. Celui qui semblait être le chef du groupe ennemi hurla quelque chose, et les trois magiciens aveuglent concentrèrent leurs sorts dans la direction de sa voix, arrosant les chevaliers de projectiles de foudre et de glace. L’un des trois chevaliers encore au combat hurla quand presque la moitié de son cors fut carbonisé par un éclair d’une grande intensité. Il s’écroula, et l’un de ses camarades commença à le tirer à l’abri à l’aide d’un garde de la ville afin d’administrer les premiers soins. Ce qui diminuait les rangs des chevaliers, mais nullement la volonté de leur capitaine.

« Je me charge du chef ! Lieutenant, débarrassez moi de ces mages ! »

« Ouimdame ! »

Diane se retrouva au corps à corps avec le plus grand des quatre guerriers ennemis encore en vie, armé d’une grande hache à deux mains. Il sourit d’un air mauvais.

« Un capitaine, hein ? J’ai toujours eu envie de m’en farcir un ! Vous n’êtes que des lavettes d’officiers, pas de vrais combattants, je l’ai toujours dit ! »

Il se jeta sur elle et Diane évita son premier coup de hache et para le deuxième de sa grande épée. Ils durent néanmoins tous deux sauter de côté pour éviter l’impact d’une sphère de glace qui projeta une myriade d’éclats de givres dans les environs.

« Tartarov ! » hurla Diane, excédée, se remettant en garde.

« J’fais c’que j’peux, hein ! » répondit le lieutenant, se faufilant entre deux guerriers tandis que le chevalier qui était encore avec lui en occupait un autre. Boris pirouetta, une hache fendant l’air à quelques centimètres de son nez, sautilla en arrière pour éviter le tranchant d’une épée et se plia presque à l’envers pour ne pas être atteint par la hache qui revenait.

« Oh, misère! » geignit-il, quand une nouvelle attaque lui coûta une mèche de cheveux et qu’un éclair faillit le griller. Ca ne pouvait décidément pas continuer ainsi… Il se dégagea habilement et se retrouva face aux trois guerriers qu’il affrontait avec l’autre chevaliers, et derrière les guerriers , ces fichus mages…

« Par le vent qui apaise et défrise, j’en appelle au premier pouvoir « Douce brise » ! » Il balaya l’air de son épée qui se mit à rayonner de mana de vent et, canalisant son premier pouvoir de lieutenant à travers la lame d’orichalque noir de son épée longue Souffle, il leva effectivement une douce brise qui vint souffler aux visages des guerriers. Le premier éclata d’un rire mauvais, ses cheveux gras voletant comiquement autour de ses yeux enfoncés dans leurs orbites.

« Har har har, quelle tapette ! Il croit nous faire peur avec un peu de vent ? Hé, les gars, franchement, qu’est-ce qu’on attend vraiment pour lui péter les dents ? » Voyant qu’aucun rire gras ne vint ponctuer son trait d’esprit, il se retourna et la surprise lui décrocha presque la mâchoire. L’un de ses deux compères était assis par terre, un sourire béat sur le visage, et caressait amoureusement une petite pâquerette qui avait poussé entre les pavés de la rue. L’autre guerrier, apercevant l’étonnement de son compagnon, sourit bêtement à son tour et écarta les bras, laissant tomber son arme :

« Allez, fais pas cette tête, ça te va pas ! Viens plutôt me faire un gros câlin ! »

« Foutredieu, qu’est-ce que… » Et puis, tandis que la douce brise finissait de souffler, le plus brutal des trois guerriers se dit que finalement, il n’avait plus vraiment envie de casser des dents à coup de hache. De hache… Nom d’un chien, qu’est-ce qu’il fichait avec une hache entre les mains ? C’était dangereux ça, les haches ! Avec un petit cri, il jeta la hache qui rebondit sur le pavé dans un claquement métallique. Puis le guerrier contempla son camarade qui lui ouvrait les bras, et sourit à son tour. Pourquoi pas ? C’était bien plus agréable que de taper sur tout le monde !

« Copain ! » cria-t-il en se jetant dans les bras de l’autre.

« Copaiiiin ! » rétorqua celui-ci.

« Coooo-paaains ! » rajouta le troisième, toujours assis, qui contemplait avec ravissement sa petite fleur.

« Faites l’amour, pas la guerre ! » lança joyeusement Tartarov avant de s’adresser aux chevaliers :

« Allons-y, le premier pouvoir de la douce brise ne dure pas éternellement… »

Laissant les trois brutes pacifiées, ils fondirent droit sur les mages qui, aveugles et sans combattant pour les protéger ou dire quoi faire, n’étaient plus capable de grand-chose. Quelques instants suffirent aux deux chevaliers pour les assommer, les bâillonner solidement afin de les empêcher d’incanter. Ils les dépouillèrent de tous leurs accessoires et autres armes, avant de les confier à un contingent de gardes et de mages de la cité. Bientôt, le même traitement fut réservé aux guerriers, qui n’opposèrent pas une grande résistance, essayant de câliner les gardes plutôt que de s’échapper. Tout ce petit monde fut acheminer jusqu’à la prison de la ville. Devant une telle débâcle, le guerrier en chef du petit groupe se dit qu’il serait peut-être temps de tirer sa révérence. Les autres groupes avaient dû avoir le temps de mener leurs petites affaires, et la « lavette d’officier » qu’il combattait n’avait rien d’une « lavette d’officier ». A son grand déplaisir. Il para de justesse l’épée de Diane et en profita pour passer sous sa garde et filer ventre à terre. Un éclat dur dans le regard, Diane ne le retint pas, se contentant de lever son épée, Exécutrice, au-dessus de sa tête.

« J’en appelle au premier pouvoir, que tson châtiment soit sans appel! »

L’orichalque noir de l’épée rayonna du mana de la terre qui y était concentré, et un rayon de lumière vint marquer le guerrier qui s’enfuyait. Il se retourna, comme pour essayer de s’en débarrasser.

« Parfait, j’ai horreur de frapper des cibles dans le dos ! « Châtiment ! » »

Une pluie de diamants acérés se matérialisa dans les airs et volèrent droit vers le guerrier qui portait la marque d’Exécutrice. L’attaque le souleva presque de terre, découpant la peau, déchiquetant la chair et déchirant les muscles. Il s’écroula dans une mare de sang, pour ne plus jamais se relever. Diane Jaeger rengaina Exécutrice dans son dos, tandis que Tartarov accourait à ses côtés.

« Dame Ael-Syal ? » souffla-t-il.

« Beau travail pour ces prisonniers, lieutenant. Et Janadevrait s’en sortir, j'ai l'impression. »

En effet, malgré une seconde blessure qui lui lardait la cuisse droite, la sénatrice avait manifestement le dessus sur son second adversaire. Elle le frappa en pleine poitrine d’un puissant coup de pied circulaire avant de se retourner en déployant son bras. Le poignard ainsi lancé se ficha dans la gorge de son adversaire, et elle alla le récupérer comme si elle faisait ça tous les jours, se contentant d’essuyer le sang sur la tenue du cadavre. Romo, lui, avait laissé tomber son épée, feintant l’assassin qui croyait maintenant s’en prendre à une proie sans défense. Quand l’homme d’armes laissa tomber à terre le corps à la nuque brisée par ses larges mains, il se pencha pour ramasser son épée et la ranger dans son dos avec un petit sourire presque négligeant derrière ses grosses moustaches.

« On devrait sortir jouer plus souvent ! » lança-t-il joyeusement, tandis que Jana réprimait un sourire. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas combattu, et si tuer n’était pas spécialement agréable, la montée d’adrénaline et l’excitation lui avaient… manqué. Elle se tourna vers Diane :

« Très beau travail, capitaine. J’ai cru comprendre que vous aviez des prisonniers ? »

« Six. Les trois mages aveugles et trois guerriers. Ils ont été conduits aux geôles de la ville, sous bonne garde. »

« Parfait. Espérons que cela nous permettra d’en savoir un peu plus… Des pertes ? »

« Trois de mes chevaliers ont été blessé, dont un très grièvement. Et plusieurs des gardes de la ville sont morts. Mais je crois que nous avons évité le plus possible de victimes civiles. »

« J’aurais aimé les éviter toutes. Et nous ne savons pas ce qu’il s’est passé dans leurs autres zones d’attaques. » grimaça la sénatrice.

« C’est pour ça que je suggère que nous nous divisons. Avec le lieutenant Tartarov, nous allons aller à l’hôpital offrir notre aide si nécessaire, afin de le pacifier au plus vite pour soigner les blesser. Si vous pouviez… »

« Romo, quelques gardes et moi allons nous rendre du côté de l’auberge. »

Diane sourit :

« Merci, sénatrice. »

Les deux groupes se séparèrent, bien décidé à protéger Eloher et à repousser une bonne fois pour toutes les indésirables qui s’en étaient une fois de plus pris à la tranquillité de la cité…

Deux des chevaliers de la quatrième brigade, portant une civière sur laquelle gisait leur compagnon grièvement blessé, se dirigeaient vers l’hôpital. Le lieutenant Tartarov menait la marche, un bras visiblement bien amoché en écharpe. Ses cheveux étaient touffus et désordonnés, et plusieurs parties de son uniforme montraient des lacérations qui révélaient des estafilades ensanglantées sur la peau à nu. Le combat avait été rude contre les derniers minions envoyés par leurs adversaires inconnus, et un chevalier ainsi que cinq gardes impériaux de la ville avaient succombé. Ainsi –et Tartarov avait le cœur lourd rien que d’y repenser- que presque dix civils impériaux qui s’étaient trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Des choses pareilles ne devaient pas arriver. Si Boris Tartarov, pacifiste dans l’âme et n’aimant guère l’usage de la force, s’était engagé dans l’ordre des chevaliers sous la houlette de Diane Jaeger, c’était bien pour éviter que des innocents souffrent injustement. Et cette dernière attaque subie par Eloher lui apparaissait particulièrement injuste. Ces ordures avaient surgi de nulle part, assassinant gardes, guetteurs, soldats et civils sans discernement. Sans but logique, comme s’ils avaient seulement voulu faire le plus de dégâts possible avant de se retirer sans avoir pillé ou revendiqué quoi que ce soit. Et les krytiens comme les guildiens avaient souffert autour de cette attaque au moins autant que les impériaux, ce qui laissait penser à première vue que ces scélérats n’en avaient pas après un clan en particulier. Qu’ils étaient venus pour saccager avant de fuir.

Enfin, ils franchirent l’enceinte de l’hôpital qui, comme Boris s’y attendait, était bondé. Des blessés étaient assis ou couchés un peu partout, et les guérisseurs de la ville travaillaient d’arrache pied pour stabiliser les cas les plus grave et sauver ceux qui pouvaient l’être. D’un signe de tête, Tartarov fit signe à ses deux hommes de déposer doucement le brancard là où il y avait de la place. Le lieutenant vint s’accroupir aux côtés de l’homme grièvement blessé, et se retint de grimacer devant l’étendue des dégâts afin de ne pas l’effrayer plus encore. L’armure de sa jambe gauche, prise en défaut, n’avait pas pu arrêter une lame qui avait presque sectionné le membre au niveau du genou, ne laissant à peine qu’un centimètre ou deux de tendons et de peau pour retenir les deux parties ensembles. Un garrot avait été fait pour stopper l’hémorragie, mais les simples sortilèges de premiers soins que maitrisaient les chevaliers n’avaient pas suffi à réparer les dégâts. D’ailleurs, Boris doutait qu’on puisse lui sauver la jambe, et il espérait seulement trouver à l’hôpital un médecin assez doué pour l’amputer sans danger. Le soldat était encore conscient, ses yeux luisant d’une douleur qu’il refusait de hurler, l’endurant comme un chevalier de l’Empire. Mais même cette discipline ne pouvait dissimuler la peur qui reposait au fond de son regard, et Boris prit sa main dans les siennes, un doux sourire aux lèvres :

« Ayez courage, Astian. Vous allez vous en tirer. »

« Si vous l’dites, lieutenant. » parvint à dire doucement le jeune chevalier aux cheveux noirs, serrant faiblement les mains de son supérieur.

« C’est certain. » renchérit Boris, bien qu’il n’était pas sûr du tout de ce qu’il avançait.« Tenez le coup, on va vous trouver quelqu’un qui saura vous remettre d’aplomb. »

Boris se releva, passa sa main libre sur son front pour en essuyer la sueur et, tandis que ses deux hommes valides hélaient les guérisseurs sur leur passage qui pourraient aider Astian. Boris, lui, avec son bras droit qui pendait dans son écharpe, se sentait un peu inutile à rester ainsi debout au milieu des blessés et de ceux qui s’affairaient. Avisant une petite fille assise dans un coin, une longue égratignure écorchant son petit bras, il allait s’accroupir près d’elle. D’après sa tenue, elle devait être guildienne.

« Salut. Je m’appelle Boris. Et toi ? »

Il lui sourit gentiment et, après quelques secondes à l’observer, elle lui répondit doucement :

« Tia. »

« Tu es toute seule ici ? »

Elle secoua la tête, et lui indiqua du doigt un lit de camp où reposait un homme de haute stature, sans doute son père vu la ressemblance. Il semblait mal en point, mais pas en danger de mort.

« Je suis sûr qu’il va aller mieux. Laisse moi m’occuper de cette vilaine blessure en attendant. »

Il ne pouvait peut-être pas faire grand-chose avec un bras dans cet état et ses connaissances de bases en premiers secours magiques, mais il pouvait au moins s’occuper du bras écorché d’une petite fille. Il posa sa main valide sur la blessure et murmura la formule des premiers secours, puisant dans les maigres réserves de mana qui lui restait. Le bras de la gamine en fut presque comme neuf et Boris en fut content avant d’être pris de vertige. Il avait vraiment trop tiré sur ses réserves et il dû s’asseoir contre le mur, à côté de l’enfant.

« Ton bras aussi à mal ? »

« On peut dire ça, oui. Mais ne t’inquiète pas. Ce n’est pas grave. Les guérisseurs pourront y jeter un œil quand ils auront fini de s’occuper de ceux qui ont vraiment besoin de soins, comme ton papa ou mon ami Astian. »

« Il est blessé lui aussi ? »

« Oui. »

« Alors je suis sûr qu’il va aller bien aussi. Comme ton bras. »

La petite fille lui sourit, et Tartarov en fut étrangement réconforté. Souriant à nouveau, il se laissa aller contre le mur, luttant contre la fatigue et la douleur, cherchant des yeux le brancard d’Astian où, il l’espérait bientôt de tout son cœur, un guérisseur se pencherait… Mais en attendant il avait besoin de… se reposer… Juste un instant. Son bras s’était remis à saigner, la blessure étant visiblement plus grave qu’il ne l’avait cru, mais cela n’avait pas d’importance. Il avait juste à fermer les yeux quelques instants et…

« Monsieur ? Monsieur ?! » Mais Boris ne répondit pas aux cris de la petite Tia ; déjà, son esprit glissait dans l’inconscience, échappant à la douleur et succombant à la fatigue du combat…

Dame Jana Al-Syla se débarrassa de la dernière partie de son armure légère, et fit la grimace en découvrant un nouveau bleu endolori sur son bras. Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas réellement battue, et si ses réflexes n’avaient rien perdu en efficacité, son endurance avait eu du mal à reprendre le niveau, et il n’y avait pas une seule partie de son corps qui ne l’élançait pas. Fort heureusement, bleus et égratignures mis à part, elle n’avait pas été blessée. Romo, lui, avait une large balafre sanglante sur le torse, là ou une lame ennemie avait déchiré le pourpoint de cuir, mais quelques premiers soins et un cataplasme avaient suffi à fermer la blessure qui n’avait pas l’air de l’incommoder plus que ça. Le petit géant se lissait les moustaches à intervalles réguliers, comme si la blessure ne l’importunait pas plus qu’une piqûre de moustique. Jana avait toujours admiré le flegme de son garde personnel, même si sa manière de prendre de haut de pareilles blessures avait fortement tendance à l’agacer.

« Et bien je dirais que nous avons pu éviter le pire. » dit amèrement Jana en songeant aux victimes parmi les trois clans d’Eloher.

« Peut-être. Mais ce n’est de loin pas suffisant à mon goût. Si j’avais eu assez de chevaliers, j’aurais donné l’ordre de pourchasser ses ordures jusqu’au dernier ! S’en prendre ainsi à des civils ! C’est d’une lâcheté et d’une couardise répugnante ! » tempêta le capitaine Jaeger, comme s’y attendant la sénatrice. Le capitaine de la quatrième brigade était connu pour ne pas supporter qu’on s’en prenne aux faibles et aux innocents, et Jana avait du déployer des trésors de diplomatie pour l’empêcher de se jeter à la poursuite de l’ennemi toute seule. Depuis, Diane faisait les cents pas dans le petit salon du manoir, épée au fourreau, cape tournoyant dans le dos et esprit bouillonnant de rage. Elle était celle qui s’en était le mieux tirer, c’était à peine si son armure présentait les signes d’un dur combat, et Jana se surprit à admirer une fois de plus la force des capitaines. Saint-Marc ne les avait vraiment pas choisis au hasard.

« Ce qui s’est passé est inacceptable, je suis tout à fait d’accord. Eloher a subi plus que sa part de déboires depuis sa construction, et je commence à en avoir plus qu’assez de la voir prise pour cible par les malandrins de la pire espèce. Mais il fallait s’en douter : un tel symbole d’union ne peut être qu’une cible de choix pour les adeptes du chaos et de la violence. »

Jana parlait depuis derrière un paravent, où elle pouvait enfin se débarrasser de la chemise de nuit qu’elle avait porté pendant tout le combat sous son armure, et passer une tenue plus appropriée pour la journée. Elle ressortit vêtue d’une chemise blanche légèrement échancrés aux manches bouffantes, d’un pantalon et de bottes noires et d’un ceinturon où étaient rangées ses dagues. Elle avait noués ses longs cheveux sombres en une queue de cheval, et portait autour du cou l’insigne d’or et d’argent représentatif de son rang à la fois de responsable impériale d’Eloher et de sénatrice impériale.

« Outre les pertes parmi les civils et les défenseurs, ce qui m’ennuie le plus c’est qu’il ne semble pas y avoir de motif derrière cette attaque. Comme s’ils étaient venus de nulle part pour ficher un bordel monstre, détruire et tuer avant de partir. Aucune revendication. Rien qui mettrait de la lumière sur leurs agissements. J’ai déjà envoyé des messagers à Zaphias, mais en tant qu’ancienne espionne et pour autant que je sache, ce groupe ne me dit rien. »

« J’ai également envoyé un chevalier au siège de l’ordre. Peut-être que le capitaine De Hyacinthe saura quelque chose. » Le capitaine de la seconde brigade était chargé des renseignements des chevaliers impériaux. « Quelque chose qui nous aidera à mettre la main sur ces bouchers. Je suis certaine que le capitaine Alcibiade acceptera de me prêter main forte afin de traquer cette engeance ! »

« Mais avant de traquer n’importe qui, en savoir plus ne peut pas faire de mal. Je suggère que nous allions voir les prisonniers. Ils sont sous bonne garde à la prison d’Eloher, les mages ont vu leur magie bloquée et tous sont entravés solidement. J’espère qu’ils consentiront à répondre à quelques questions. Non pas que je compte leur laisser vraiment le choux, de toute façon. »

« Je vous suis. »

Les deux femmes, suivies de Romo et de quatre gardes impériaux de la cité, sortirent du manoir et s’enfilèrent dans les rues d’Eloher en direction des geôles. Ils passèrent devant l’auberge, qui avait visiblement souffert de l’attaque elle aussi, et espéraient qu’en circulant en ville, ils en apprendraient peut-être plus sur ce qui avait conduit une pareille attaque en ces lieux…

Lorsque Tartarov reprit connaissance, ce fut pour se retrouver nez à nez avec un krytien à l’air aimable qui lui fourra d’autorité une fiole ambrée dans sa main libre avec l’ordre de la boire. Boris reconnut les atours d’un guérisseur derrière le sang des blessés qui les couvrait, et il obéit sans discuter, avalant la potion d’une seule traite. Il voulut remercier le krytien, mais fut prit d’une quinte de toux et le médecin avait visiblement fort à faire ailleurs.

« Ca va mieux ? »

Tartarov tourna la tête en direction de l’origine de la petite voix et reconnut la fillette avec qui il avait changé quelques mots avant de s’évanouir. Elle semblait inquiète, aussi l’impérial sourit bravement et passa une main dans les cheveux de la gamine :

« Ca va beaucoup mieux, même. Grâce à ce gentil guérisseur. »

« Oui, le docteur Peeble est très fort ! C’est aussi lui qui a aidé mon papa ! Maintenant, il s’occupe de votre ami, celui qui a mal à la jambe. »

« Hein ? » L’esprit encore un peu embrouillé, Boris mit quelques secondes à comprendre. « Astian ! »

Il voulut se lever d’un bond mais fut prit de vertiges, et se laissa retomber lourdement en position assise contre le mur. Son bras blessé le faisait encore souffrir, mais il pouvait sentir qu’il avait été correctement remis en place, et si la douleur était encore forte elle était bien plus supportable.

« Il faut rester sage quand on a mal. C’est ce que mon papa dit toujours. Il faut rester tranquille et boire beaucoup de soupe. » Le visage de la fillette s’éclaira soudain : « Je sais ! Je vais voir si je peux trouver de la soupe pour toi, pour que tu ailles mieux ! »

« C’est… » Mais la gosse avait déjà filé à travers l’hôpital. « …gentil. » termina le chevalier en souriant. Puis, poussant un profond soupir, il laissa aller sa tête doucement en arrière contre le mur et ferma les yeux, essayant de se concentrer pour reprendre des forces et éviter de trop penser au pauvre Astian. Quand il les rouvrit, ce fut pour voir le guérisseur de tout à l’heure revenir vers lui. Cette fois, Boris réussit à se lever, et répondit au sourire triste du krytien par l’un des siens :

« Je vais bien, merci. Et… » Boris s’interrompit, ne sachant pas trop quoi dire. Par-dessus l’épaule du docteur Peeble, il pouvait voir Astian, inconscient, se faire nettoyer le moignon auquel était autrefois rattaché le reste de sa jambe. Perdre un membre était quelque chose de terrible, particulièrement pour un chevalier, mais Tartarov était soulagé de voir son subordonné en vie. « Merci d’avoir sauvé Astian. Il vivra, et c’est le plus important. Docteur Peeble, c'est cela? Je suis le lieutenant Boris Tartarov, de la quatrième brigade des chevaliers impérieux. C'est un honneur, docteur. »

Tartarov voulut lui tendre sa main libre mais chancela soudain, et faillit s’encoubler contre le fourreau de son épée rangée. Le ceinturon s’était desserré durant la bataille, et il essaya de remettre le tout en ordre d'une seule main, l’air vaguement triste en contemplant la garde de son arme.

« J’ai beau vivre avec une lame à mes côtés, je crois que je ne m’habituerai jamais à ce qu’on puisse en faire de tels terribles usages… »

Non, Boris Tartarov n’aimait vraiment pas du tout la guerre non plus.

A l’intérieur de la taverne d’Eloher, ni Jana ni Diane ne s’étaient offusquées d’avoir été ainsi attirées à l’intérieur, et toutes deux –ainsi que Romo- écoutèrent avec attention ce que Lurius et Fleïana avaient à leur dire sur l’origine de l’attaque. Le sang de la sénatrice ne fit qu’un tour ; elle ne connaissait certes pas intimement Ysyhteha, mais elle l’avait rencontrée plusieurs fois lors de ses passages à Eloher et avait très vite appris à apprécier et respecter la guildienne. Quant à Diane Jaeger, elle ne prenait pas moins durement la nouvelle, écoeurée par la lâcheté de l’enlèvement.

« Merci de nous avoir communiqué ces informations. » finit par dire Jana, hochant la tête à l’adresse de Lurius et de Fleïana pour appuyer son propos. « Sachez que si l’Empire peut vous aider de quelque manière que ce soit, vous avez ma parole qu’il le fera. Dame Ysyhteha est une personne de qualité, et une amie de l’Empereur, mais même sans cela elle est l’un des piliers de cette cité. »

« Je suis personnellement prête à participer à toutes recherches. » renchérit le capitaine Jaeger avec empressement. Elle brûlait d’en découdre avec les attaquants et ne songeait qu’à les pourchasser, son épée tirée. Jana posa une main sur l’épaule du chevalier, un sourire qui n’en était pas vraiment un sur les lèvres.

« Je n’en doute pas, Diane. Mais je pense que le seigneur Roranin a raison. Si lady Elmundir et le don Estrello en personne sont dors et déjà sur les traces de ces ordures, je pense que le temps que nous partions à leur recherche pourrait être mieux utilisé ici. A s’assurer que la ville est sécurisée et qu’aucun blessé n’aurait été oublié à l’arrière d’une ruelle. »

Diane voulut répliquer quelque chose mais se mordit la lèvre inférieure avant d’incliner la tête.

« Soit. Nous attendrons des nouvelles de l’équipe de secours, comme vous le préconisez. » dit-elle à l’adresse de Lurius. « Mais sachez qu’au moindre besoin, nous serons là pour vous aider. »

Jana hocha la tête, et croisa le regard de Romo :

« En attendant, nous avons nos concitoyens de tous clans dont nous devons nous occuper. »