*clap clap clap clap*

Emergeant de l'ombre du trône où il s'était tenu, un homme s'avança, sans cesser d'applaudir. Enfin, il s'arrêta face aux deux autres, croisa les bras sur sa poitrine et les observa de sous ses paupières mi-closes. Il était de taille moyenne et de silhouette élancée dont la maigreur était accentuée par le large vêtement blanc et noir entre le kimono et le manteau dont il était vêtu. Son visage étroit était pourvu de traits acérés, encadré par des cheveux gris presque blancs, légèrement en bataille. Il avait l'air plutôt jeune, mais comme ses deux compagnons, il n'en était rien. Ses yeux qu'il n'ouvrait presque jamais complètement, combinés à son éternel sourire, lui donnaient sans cesse l'air malicieux de celui qui mijotait un coup tordu. Et le sourire ne dissimulait en rien la froideur, l'absence d'émotion qui semblaient se dégager de l'homme.

"Si c'était pas émouvant tout ça! Y a des choses qui ne changent pas."

L'homme reposa sa main sur le pommeau du sabre qui était attaché à sa ceinture, rangée dans un fourreau noir. La lame n'était pas très longue, et la poignée était aussi grand que cette dernière.

"Pourquoi vous me matez comme ça? Ah, ouais, la génuflexion."

Leur tournant le dos, l'homme mit un genou à terre et inclina la tête, arrivant à conférer une nonchalance toute particulière à un geste pourtant si cérémonieux.

"Moi, Ichissin Geru, votre fidèle serviteur préféré -si, si!- je jure sur mon sang et tout et tout de mettre mes innombrables talents aux services de votre toute puissance. Le truc habituel."

Le dénommé Geru se redressa souplement et se tourna vers les deux autres, un sourire tellement large sur le visage qu'il menaçait de le couper en deux.

"Ca, c'est fait! Vos sales têtes n'ont vraiment pas changé! J'espère que quelqu'un a apporté un gâteau pour fêter ces retrouvailles?"

"Pas de gâteau alors?"demande Ichissin, l'air déçu. "La prochaine fois, peut-être."

Il s'accroupit, un coude sur la cuisse et le menton reposant dans le creux de sa main. De ses yeux mi-clos, il observait les Immortels réagir aux paroles de Krasus, l'air amusé (ce qui ne voulait pas dire grand chose, étant donné qu'Ichissin avait toujours l'air amusé).

"Chouette discours, Kras'. Bref, concis, mais grandiloquent à la fois. Chapeau."Il pencha la tête sur le côté après que Kendara eut parlé, comme s'il comptait les créatures. "Ils sont peut-être mois nombreux, Kenny, mais ils sont toujours aussi bruyants. J'espère qu'ils sont encore solides, au moins. Je vous rejoins tout de suite!"

Ichissin sauta en contrebas, atterrissant habilement au milieu des Immortels.

"Salut les gars! Très réussis, les grognements."

Geru s'arrêta devant un de leurs serviteurs, l'air pensif. Puis en un éclair, il avait dégainé Reflet, son nagamaka, et dans le même mouvement il avait tranché un bras de l'être. D'un moulinet rapide, il le décapita d'un coup sec. L'air satisfait, il sauta sur les épaules d'un autre Immortel, et s'en servit comme tremplin pour retourner plus haut.

Essuyant la lame de son sabre dans un mouchoir de tissu qu'il jeta derrière lui, il rengaina son arme et se laissa tomber sur un siège, posant les pieds sur le bureau.

"Mouais, ils m'ont quand même l'air un peu rouillé. Faudra vite leur faire faire de l'exercice. Piller des villages, tuer des femmes, violer des troupeaux, des trucs du genre. Comment ça s'passe à Tarqaron, Kenny? Segogo pète la forme?"

Ichissin avait la manie de donner des surnoms à tout le monde, que cela leur plaise ou non. Combinée avec son air de tout prendre à la légère, il était toujours très difficile de savoir à quel point il prenait les choses au sérieux. Il n'avait encore jamais exprimé son opinion sur leur alliance avec Ségonar, et dieu seul savait ce qui se cachait derrière les paupières plissées et l'éternel sourire...

Aucun des deux autres Mentaïs n'avaient accordé de l'importance aux paroles d'Ichissin, mais il ne s'en formalisa pas. Il avait l'habitude qu'on ne le prenne pas au sérieux, qu'on ignore ces bavardages, et il était bien décidé à tout faire pour que cela continue ainsi. Ne pas être pris au sérieux pouvait s'avérer un avantage redoutable.

"Vous êtes si.... mignons, tous les deux. Je peux aller chercher ma mandoline et vous jouer un petit air romantique, ensuite vous mangerez des pâtes et vous nous ferez plein de rejetons maléfiques. Je suis sûr que les Immortels feraient de parfaits baby-sitters!"

Il se renversa en arrière, et apposa ses pieds vêtus de sandales contre le bureau afin de se balancer sur son siège. Il était plutôt satisfait de se retrouver à nouveau en ces lieux, en compagnie de ses deux compagnons, et il était curieux de voir ce que leur association allait donner cette fois-ci.

"Dis moi Kenny, vu que c'est toi qui dois retourner à Tarqaron, comment ça se passe avec Segogo? Toujours aussi jovial, notre magot?"

Ichissin avait assisté au manège de Kendara sans en paraître troublé le moins de monde. Son regard avait à peine glissé sur le décolleté de sa consoeur, une telle vision ayant l'air de lui faire ni chaud ni froid. Depuis qu'il servait le dieu sombre des Mentaïs et des Immortels, l'homme aux cheveux pâles n'avaient jamais donné l'impression de rechercher les plaisirs de la chair. A vrai dire, si ce n'était l'occasion de se fendre d'une pique ou d'un bon mot, il ne semblait pas éprouver de la passion pour quoi que ce soit. Sauf encore au combat, mais là encore, il était toujours difficile de deviner ce qui se cachait derrière le visage malicieux.

"Bah, tu pourras toujours adopter un lézard."

Il cessa de se basculer d'avant en arrière pour venir s'accouder sur le bureau, le menton dans les mains.

"Zephyr, hein? Pffff, fait froid dans le coin. Cela dit, j'aime bien quand il fait frais, rien de tel s'aérer le cerveau! Et puis j'ai toujours voulu rencontrer un esprit, ça doit être intéressant..."

Geru continua de sourire pendant qu, sous le bureau, il écrasa d'un coup sec l'un des insectes de Kendara qui s'était égaré trop près de ses sandales...

"Prudent? Oooooh, tu t'inquiète pour le petit Ichi, ça c'est gentil!"lança joyeusement Geru, tout en sachant pertinemment que ce n'était pas parce qu'elle s'inquiétait pour lui que Kendara ne voulait pas qu'il soit seul pour se confronter à Ondine.

D'un bond, Ichissin fut debout et sauta lestement par-dessus le bureau. Il s'appuya sur le rebord de la fenêtre aux côtés de Krasus et regarda le corps empalé de l'Immortel en contrebas. Il se tourna vers Krasus et leva un pouce à son égard:

"Waow, bien visé, comme toujours! Je te mets neuf sur dix pour l'effet de style!"Il s'adossa ensuite contre le mur à côté de la fenêtre, et les longs doigts fins de sa main gauche tapotaient négligemment sur le rebord de celle-ci. "Si tu veux venir te geler avec moi, ça pourrait être marrant, comme au bon vieux temps. Kenny, je te promets de ne pas essayer de te le piquer!"

Puis ses yeux fixèrent le portrait de leur maître. Les choses sérieuses... C'était à se demander si ce mot était au vocabulaire d'Ichissin même si, pendant un temps infime -moins d'une seconde- il ne sourit plus. Mais il redevint lui-même presque plus vite encore, souriant et amusé:

"Oooh oui, parlons du vrai projet. Ségogogo est un jouet rigolo, mais il ne reste qu'un jouet, après tout. Nécessaire pour amener le véritable grand jeu à une étape supérieur..."

"Tsssss, mon pauvre Krasus, s'il s'avérait au bout du compte qu'un humain -même aussi puissant que Ségonar- nous ait manipulé, je crois qu'il ne nous resterait plus qu'à nous trancher mutuellement la gorge."

Bien sûr, Ichissin souriait, mais on ne pouvait douter de ses mots. Pour lui, le mage noir n'était qu'un instrument, une étape amusante, et il ne s'en était jamais caché. A vrai dire, il n'était même pas persuadé que cet homme puisse leur être d'une quelconque utilité, mais il avait suivi les plans de Krasus sans poser de questions. C'était beaucoup moins fatigant de laisser les autres diriger, et surtout beaucoup, beaucoup plus amusant. Et ce quel que soit le résultat.

"Bon, ben on dirait que Kras' et moi, on va devoir aller chercher nos petites laines!"

Il tapota joyeusement l'épaule de Krasus et se dirigea vers la sortie de la pièce, les bras croisés cachés dans les longues manches de son kimonon. En passant à côté de Kendara, il s'arrêta le temps de lui souffler quelques mots au creux de l'oreille:

"N'oublie pas de travailler les courbettes, Kenny. Je suis sûr que notre mage noir doit adorer ça. C'est fou à quel point c'est important, les courbettes. Heureusement que t'es là pour ça: tu fais un job formidable!"

Puis il continua son chemin, tournant le dos aux deux autres Mentaï et commença à siffloter un petit air plein d'entrain.