Debout à côté de sa tente, le regard tordu pour mieux se regarder dans le vieux miroir posé sur un rondin, le sénateur et duc impérial Mikail D'Houbellevent terminait de se raser. S'il avait bien appris quelque chose depuis ses débuts au sommet, c'était qu'il était toujours important de maintenir son image. Que les dirigeants ne devaient jamais cesser de paraître irréprochables. Mikail sourit à cette pensée. La lignée des D'Houbellevent n'était pas reconnue pour la bonne tenue de ses membres, qui avaient mis un point d'honneur à ne pas se conformer au système, quelle que soit la génération. Mais comme son père avant lui, Mikail avait atteint l'une des plus hautes fonctions possibles au sein de l'Empire, et il ne pouvait plus se permettre de se laisser aller. Non pas qu'il fut homme à le faire. Malgré l'impétuosité de la jeunesse qui ne s'était pas encore tarie en lui, le duc avait toujours fait preuve d'une discipline toute personnelle. Faire en sorte de se raser chaque matin qu'il neige, qu'il pleuve ou qu'il vente, sous une tente ou dans la boue, était pour lui devenu une routine indispensable, un petit rituel qui lui permettait de clarifier ses pensées. Et le jour qui commençait demandait un esprit clair. Quand les nouvelles de l'attaque imminente de la cité d'Eloher était parvenue au sénat, Mikail avait été le premier à soutenir l'Empereur pour l'envoi du plus de troupes possibles. Et insisté pour représenter le sénat en menant en personne la cavalerie d'élite. Ce n'était pas coutumier qu'un politicien se rende ainsi au front, mais Mikail était toujours un chevalier honoraire, et il voulait montrer que tous les politicards ne se planquaient pas à l'abri derrière leurs bureaux en bois rare. Le sénat avait bronché uniquement pour la forme, avant de laisser le jeune duc partir. Pour certains membres du gouvernement, si un idéaliste comme D'Houbellevent voulait risque sa vie au combat, grand bien lui fasse.

Méticuleusement, il fit disparaître jusqu'au dernier poil de ses joues, et se rinça le visage avec l'eau fraîche de la bassine. Autour de lui, les cavaliers terminaient de se préparer, avalant rapidement la dernière bouchée d'un petit-déjeuner frugal mais solide ou finissant une brève toilette. Ils devaient maintenant aller s'occuper de leurs montures, les harnachant et les préparant au combat avant de les chevaucher jusque dans les petits bois alentours de la ville. De là, ils chargeraient l'ennemi sur les flancs dès qu'ils en auraient l'occasion. Les cavaliers de rhygbaros n'étaient pas nombreux, mais ils faisaient partie des meilleurs combattants que l'Empire avait pu envoyés. S'essuyant rapidement le visage d'une serviette qu'il jeta en boule aux pieds de sa tante, le duc D'Houbellevent hocha la tête à l'intention de son officier d'ordonnance venu lui apporter un message, et se prépara à enfiler son armure. Une fois équipé de pied en cap, il irait s'occuper de sa propre monture, et ferait un dernier tour d'inspection, distribuant les derniers ordres et veillant au moral des hommes. Quand l'heure viendra, ils seront prêts.

Sa majesté impériale Kitsune Antilles enfila sa fidèle cape de voyage verte par-dessus l'armure qu'il venait d'enfiler. Comme il seyait à une personne de son rang, ladite armure était brillante et finement ornementée. Légère, pour ne pas entraver ses mouvements, il s'agissait essentiellement d'un pourpoint et de protections destinées aux avants-bras. Elle n'était nullement aussi robuste qu'une armure de guerrier, mais elle avait été réalisé par l'un des meilleurs maîtres forgerons de tout l'Empire. Elle semblait luire d'une étrange lueur bleutée, témoignant des enchantements qui lui avaient été prodigués pour en améliorer les capacités. C'était la première fois que Kitsune la revêtait, et il avait décider de le faire le plus vite possible une fois levé pour s'habituer à son port. Accroché à son épaule, son fidèle arc Golgohta avait été minutieusement calibré par ses soins, et son carquois était plein des meilleurs flèches que l'on put trouver. Ramuh, son brise-épée, était à sa place dans son fourreau, attaché à une solide ceinture de cuir.

Il parcourait en ce moment le deuxième -et principal- camp impérial. Il avait toute confiance en Mikaïl D'Houbellevent pour superviser la cavalerie, aussi il avait décidé de d'abord rendre visite aux fantassins. Comme pour les cavaliers, ils étaient en plein préparatifs, finissant de se vêtir de leurs armures; plusieurs brigades avaient déjà commencer à s'entraîner sous la direction de leurs officiers. Kitsune voulait monter aux soldats qu'il était avec eux, quoi qu'il advienne, et s'arrêtait de ci de là pour échanger quelques mots d'encouragement. Fuchs trottinait à côté de son humain, bien décidée à ne s'en séparer qu'au dernier moment. Ils étaient accompagnés par les jumeaux Andùrin, eux aussi préparés pour le combat difficile qui s'annonçait. Jacek portait une armure d'écailles krytienne complète; il n'y avait que le heaume qu'il ne portait pas encore. Le métal, léger et solide, brillait d'une lueur vert émeraude, et le symbole du clan Andùrin trônait sur son torse, ciselé d'argent. Ses deux lames -Fracture et Atomnium- étaient rangées dans leurs fourreaux, dans son dos. Lissandre, en tant que mage, était bien moins lourdement équipée. Elle portait un petit plastron d'argent par-dessus une souple tenue de cuir. Dans sa main se trouvait l'un des plus formidables trésors du clan, le bâton de cristal Sidéral. Kitsune appréhendait naturellement de la voir partir au combat, mais il savait qu'il aurait été vain de demander à la krytienne de rester en retrait. Ou qu'il aille, elle irait; il s'était fait à cette idée. D'autant plus qu'elle était parfaitement capable de veiller sur elle-même. Et puis, avec Jacek, ils formaient un duo redoutable, leur gémellité leur offrant une synchronisation hors du commun.

Kitsune se demandaient aussi où en étaient les Rôdeurs. Plusieurs étaient déjà arrivés à Eloher, seuls ou en petits groupes. Il s'inquiétait surtout pour ceux qui avaient été occupés harceler l'avancée de l'ennemi à travers les bois. Jassandre D'Alinéas était arrivée tôt ce matin d'Aurnion, mais elle n'avait pas plus de nouvelles à apporter. Elle avait rejoint Markus, qui avait eu vent de l'entraînement des krytiens et n'avait pu s'empêcher de s'y rendre, surtout désireux de voir Jhérer Elmundir à l'oeuvre.Le commandant Saint-Marc, curieux d'assister à un entraînement krytien, avait aussi pris le chemin de la plage. Il viendrait ensuite superviser la formation des troupes impériales.

Souriant, se forçant à rayonner de confiance tandis qu'il traversait le camp, l'Empereur ne pouvait qu'espérer qu'il ne les avaient pas tous envoyés à la mort en les faisant venir ici.

Au refuge, les Gray père et fils venaient de choisir les mages impériaux qui assisteraient les mages krytiens et guildiens pour protéger les civils et s'occuper des blessés qu'il ne manquerait pas d'y avoir. Les trente-cinq mages restants du collège de magie partiront au combat. Vêtu de son éternelle toge bleue, Lucius Gray avait l'air aussi confiant et redoutable que d'habitude. A côté de lui, Lucas paraissait presque effacé, mais il ne s'en offusquait pas. La vision de son père, solide comme un roc, marchant parmi les mages et les soldats impériaux leur donnaient confiance. Tout occupé qu'il était à superviser les différents groupes de mages, Lucas Gray pensait principalement à Antoine Saint-Marc, et à ce que cette nouvelle bataille n'allait pas manquer de lui coûter.

Enfin, à la taverne, Eldar s'occupait des différents groupes d'espions et messagers impériaux, et était chargé de répartir au mieux les soldats de l'Empire qui avaient été choisis pour rester dans l'enceinte de la ville afin de contribuer à sa protection si besoin était. L'ancien sheitzeka brûlait de partir au combat contre les ennemis jurés de l'organisation qu'il avait quittée, mais il suivrait les ordres de l'empereur jusqu'au bout. N'ayant pu repartir pour Zaphias, Arthur Boniface lui tenait compagnie, babillant sans cesse comme pour dissiper son anxiété.

L'Empire était prêt. Du moins, autant qu'il pouvait l'être.